"Le DSM-5 n’est ni inutile, ni la panacée"

"Le DSM-5 n’est ni inutile, ni la panacée"

Alors que vient de se tenir le 32ème congrès de l’Association Américaine de Psychiatrie (APA), à San Francisco, la polémique fait rage. La raison? La publication de la nouvelle version du DSM-5, la bible des maladies psychiatriques. En cause, l’introduction de nouveaux critères de diagnostic qui font craindre une “psychiatrisation“ démesurée. Le point de vue duDr Rachid Bennegadi, vice-président de la Ligue Française pour la Santé Mentale.

La publication du DSM-5 au coeur d'une polémique. © PURESTOCK/SIPA

Endeuillé plus de deux semaines ? D’après la 5ème édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5*), il s’agit d’un

trouble dépressif majeur. Des troubles de l’humeur chez la personne âgée, avec notamment une perte de mémoire ? Certainement un pré-Alzheimer, selon cette même “bible“. Depuis sa publication, le

DSM-5 est la cible de nombreuses critiques qui l’accusent de “pathologiser“ les petits maux de la vie quotidienne. Pétitions, livres, appels au boycott… Les réactions passionnées ne manquent pas. Qu’en est-il réellement ? Pour le savoir, nous avons interrogé le Dr Rachid Bennegadi, psychiatre, anthropologue et vice-président de la Ligue française pour la santé mentale, directeur du pôle de recherche du centre

Françoise Minkowska.
Doctissimo : LE DSM, c’est quoi ?
Dr Rachid Bennegadi : C’est un outil mis en place depuis plusieurs années pour catégoriser des maladies mentales basées sur des statistiques. Aujourd’hui, l’objectif du DSM-5 est d’améliorer le DSM-IV en essayant de faire un pas en avant sur les psychopathologies… mais sur lesquelles tout le monde n’est pas d’accord.
Doctissimo : Quel est l’intérêt d’un manuel tel que le DSM ?
Dr Rachid Bennegadi : Les maladies mentales sont difficiles à catégoriser, et ce, depuis toujours. Pour les professionnels, si les catégories ne suffisent pas en elles-mêmes, elles restent nécessaires pour que nous puissions tous parler de la même chose et ce, partout dans le monde.Sans oublier de prendre en compte les dimensions santé publique et économique : en effet, comment prendre en charge et indemniser, le cas échéant, un patient, si on ne dispose pas d’une grille commune catégorisant telle ou telle maladie ? Il faut un consensus entre tous les professionnels, même si ce consensus ne suffit pas et n’est pas une fin en soi.
Doctissimo : Quels changements majeurs ont été opérés dans la nouvelle édition, le DSM-5 ?
Dr Rachid Bennegadi : Les plus controversés concernent le

deuil et la

maladie d’Alzheimer**.
Selon les détracteurs, ce sont là les signes d’une “pathologisation“ à outrance et injustifiée. Selon moi, il s’agit plutôt de pouvoir détecter le plus tôt possible (via les examens appropriés) les éventuels symptômes de la maladie d’Alzheimer pour mieux anticiper.
Doctissimo : Faut-il craindre une “surmédicalisation“ du quotidien, l’une des critiques principales formulées à l’encontre du DSM-5 ?
Dr Rachid Bennegadi : En fait, ce débat – et non ce combat – comporte 3 composantes qu’il convient de bien distinguer : un débat scientifique, un débat politique et un débat éthique.
Le débat scientifique : selon de nombreux chercheurs et notamment le Dr Vivane Kovess (psychiatre épidémiologiste, professeur à l’Ecole des Hautes Etudes en santé publique-EHESP), c’est un outil intéressant pour mettre en place des politiques de santé publique et des études épidémiologiques. Pour organiser les soins, il est nécessaire d’avoir un outil, même s’il est critiquable.
Le DSM-5 n’est ni inutile, ni la panacée. D’ailleurs, il existe une autre classification : la classification des maladies internationales (CIM), éditée par l’OMS, dispose également de sa propre classification***. Elle est plus “ouverte“ et plus “internationale“ que le DSM, très anglo-saxon. Toujours est-il que le DSM reste un outil à disposition des praticiens, ça n’est pas un dogme. Il s’agit donc de débattre sereinement de la pertinence de cet outil et de la manière dont on peut l’adapter aux pratiques. 
Le débat politique :plus qu’à un débat sur le DSM, on assiste à un affrontement entre les tenants d’une approche neuropsychiatrique et d’une approche

psychanalytique. Or, l’objectif du DSM est de créer des catégories en prenant en compte plusieurs approches. C’est un outil qui permet de se faire une idée sur le cas d’un patient et non pas de lui attribuer un numéro pour le faire entrer dans une case ou de le labelliser “dépressif“,  “psychotique“… En aucun cas, les psychiatres n’utilisent le DSM comme un couperet.
Je répète, un tel outil, même imparfait, est absolument nécessaire, surtout dans le contexte actuel : d’une part, la mondialisation oblige à une confrontation des pratiques à laquelle ce débat contribue. D’autre part, pour permettre aux patients d’accéder aux informations les concernant : il leur est nécessaire de pouvoir s’appuyer sur un document de référence, même s’il suscite le débat.
Enfin, d’un point de vue éthique, il est intéressant de noter que ce débat houleux a un véritable intérêt pour les usagers puisqu’il permet de clarifier les pratiques et d’aller vers plus de transparence. Pour les praticiens aussi ce débat est finalement positif : il oblige à s’interroger sur ses propres pratiques pour savoir comment adapter au mieux cet outil. En quelque sorte, il aide au “décentrage“ (c’est-à-dire au fait d’avoir du recul sur ses propres pratiques), essentiel pour accepter la parole du patient et ne pas lui imposer un discours pré-établi.
Doctissimo : Toujours selon les détracteurs, il faut voir dans le DSM-5 la mainmise de l’industrie pharmaceutique : qu’en pensez-vous ?
Dr Rachid Bennegadi  : Selon Allen Frances (NDLR : psychiatre américain, professeur émérite à la Duke University en Caroline du Nord), l’industrie pharmaceutique touche essentiellement les psychiatres les plus naïfs. S’il est vrai que l’’industrie pharmaceutique est particulièrement “active“ pour inciter les médecins à prescrire leurs médicaments, il est quelque peu réducteur de penser que tous vont aveuglément suivre leurs “directives“. Il y a tout de même peu de risque qu’un patient non

schizophrène soit diagnostiqué tel quel simplement pour écouler des médicaments. Par contre, je pense qu’on est dans notre rôle si on considère que l’état d’un patient peut être amélioré par un traitement ET un suivi thérapeutique.
Doctissimo : Dans quelle mesure ces changements impactent-ils la pratique au quotidien ?
Dr Rachid Bennegadi  : Au final, je pense que ce débat est une bonne chose car il permettra aux praticiens de mieux faire la part des choses. Il ne faut pas craindre le débat qui aboutit à une optimisation des pratiques.
*Le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, plus communément désigné sous le sigle DSM, (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) est le manuel de référence sur la santé mentale, publié par la Société américaine de psychiatrie (APA). Le DSM-IV répertorie quelque 297 pathologies, classées par grandes catégories. 
**En effet, selon la nouvelle version du DSM, une personne endeuillée présentant divers signes de type dépressifs pendant plus de deux semaines pourrait être passible du diagnostic d’un “épisode dépressif majeur“ ; contre deux mois dans le DSM-IV. Autre nouveauté dans le DSM-5 : l’apparition d’un trouble dysfonctionnel de l’humeur chez les personnes âgées, se caractérisant par la survenue de petits troubles cognitifs, dont des pertes de

mémoire.
***Actuellement, c’est la version 10 qui est en cours mais qui ne devrait pas tarder à évoluer en CIM-11 (courant octobre, afin de prendre en compte les évolutions du DSM).Propos recueillis par Yamina SaïdjCréé le 23 mai 2013Click Here: los jaguares argentina